Christine Fabre

   
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Le Raku

 

Le terme "Raku" contenant une multitude de références tant historiques que contemporaines, philosophiques que techniques, comment savoir de quoi l'on parle lorsque l'on emploi ce mot?
En ce qui concerne mon travail, je pense n'utiliser qu'une partie technique, infime, de ce que peut être le Raku.
Je ne sais pas d'ailleurs si j'ai jamais fait de Raku !
J'ai voulu, à mes débuts, décorer mes pièces par des craquelures. Effet sublime découvert au Musée Guimet (sur un vase - bouteille chinois dit "Guan" en grès) unique décor de cette pièce, une craquelure vivante, sensible, étonnante. J'ai lu dans le livre de Bernard Leach (la bible des potiers ) que la craquelure était un défaut appelé "tressaillage" car la pièce était sortie trop chaude du four... J'ai donc volontairement défourné à des températures de plus en plus élevées.
Lorsque j'ai montré mon travail, on m'a parlé de Raku.. !!???
J'avais 30 ans, et depuis je garde cette étiquette, mais aujourd'hui cela me paraît un peu loin de moi.
Car, à la technique "Raku" que je vais tenter de vous décrire, il faut ajouter, pour ma part, le travail des bois ajustés, les tissus émergeants de cavités amoureusement prévues, les liens noués longuement, les fragments enfin rassemblés, qui sont ma démarche personnelle.
La pratique "Raku " consiste en la cuisson de pièces céramiques émaillées et cuites entre 900 et 1000°, afin d'obtenir la fusion des émaux. A partir de ce moment où la température est atteinte, là où le potier traditionnel éteint son four et attend qu'il soit froid pour sortir ses pièces, le potier de Raku va ouvrir son four à chaud (donc entre 900 et 1000° ) et, à l'aide de pinces, il va défourner ses pièces incandescentes pour les tremper dans l'eau froide (ce que je ne pratique jamais), ou les enfouir dans de la sciure de bois, des copeaux, des journaux etc...pour les plus raisonnables. Certains, pour les plus fous d'entre nous, allant jusqu'à enfumer avec des pneus !!!
Dans cet instant le choc thermique est d'une violence extrême.
L'émail peut craqueler, ce qui est un effet souvent recherché, mais ce choc thermique peut tout aussi bien faire casser la pièce (la taille de celle-ci augmentant le risque). Une fois déposée dans la sciure, ou tout autre matériau combustible, la pièce subit un "enfumage". Si l'on a laissé des parties non émaillées sur le pot, celles-ci deviendront noires, irréversiblement, par l'action du carbone. La fumée pénétrant dans les craquelures de l'émail va révéler celles-ci en les noircissant.
L'oxyde de cuivre, qui donne des verts en céramique (faïence) peut se transformer en rouges ou évoluer en métallisations cuivrées lors de cet enfumage, car la pièce, noyée dans la sciure (pour mon cas) en l'absence d'oxygène, se trouve en atmosphère réductrice (carbone ) d'où une transformation des couleurs .
Ceci pour les grandes lignes d'un principe de cuisson particulier, où beaucoup de phénomènes se produisent essentiellement "après" la cuisson. C'est à dire, au moment où tout est joué pour les autres potiers, pour nous: tout commence.

 
 

 

Evidemment on n'oubliera pas que l'on ne sort du four que ce que l'on y a mis: notre désir de la pièce, notre expérience, la part de risque évaluée,
acceptée (?) et enfin ce regard que l'on porte, que "je" porte sur cet objet fini, et qui peut me surprendre moi-même, vais-je l'accepter et accepter de vous le livrer ?
Car nous sommes dans ce moment crucial, définitif, où la décision de montrer fait encore partie de l'acte de création .Le Raku tel qu'il est pratiqué en Occident par les céramistes contemporains n'a certainement qu'un lointain rapport avec ses origines qu'il faut peut-être rappeler.
Cette pratique naquit au Japon au 16 ème siècle, alors que dominait la porcelaine chinoise, fine, décorée et irréprochable tant dans ses formes pures que dans son émail virginal. Mais ceci ne correspondait pas à cette nouvelle pratique culturelle, la Cérémonie du Thé, élaborée par Rikyu sur la base du Wabi (1) . C'est autant pour la "manière de faire" cette céramique, que pour ses résultats (asymétrie des formes, craquelures, rugosité, épaisseur de l'émail) que le Raku va être adopté et développé au Japon car il y aura une adéquation parfaite entre cette nouvelle philosophie du Thé et ce nouvel art céramique.
Depuis 400 ans des générations de potiers "Raku" ( Raku-Kenzan, Raku-Keinyu..."Raku" devenant un titre honorifique au Japon) perpétuent cette pratique devenue une réelle culture développée essentiellement autour des bols à thé, et de pots à eau (donc de petites dimensions ).

En Occident, certains d'entre nous ont été sincèrement touchés par cette philosophie, et l'appliquent. Beaucoup d'autres, tout en connaissant l'origine, ont démontré qu'une modernité était possible, en ne limitant pas la technique Raku à des bols ou à des pots à eau. Ils ont choisit d'explorer à leur tour et sans l'imiter (la dimension de leurs pièces le prouve ), une pratique libératoire au service de leur sensibilité.
Chacun peut donc avoir sa définition personnelle du "Raku" qu'il pratique, car elle peut-être synonyme de liberté et permet la recherche de soi-même.

Pour ma part: « le Raku est, avant toute considération technique, un état d'esprit. Il consiste à provoquer des" accidents" plus ou moins contrôlés, et chaque pièce entraîne un accord ou un refus de cet accident. En cela le Raku est exigeant car il nous confronte à nous même sans complaisance, il demande de la rigueur et de la fantaisie, du savoir faire et de l'improvisation, de la douceur et de la violence. Peut-être nous passionne-t-il autant parce qu'il sait se nourrir de toutes ces contradictions qui font la richesse des êtres».
Christin Fabre


* Dossiers d'Argile. Le Raku :Camille VIROT